L’aventurier Tom de Dorlodot a fait l’expérience de la navigation en solitaire à bord de son voilier. Il partage ses conseils et son expérience avec ceux qui désirent se lancer dans une telle aventure.
« Cette année, après en avoir rêvé pendant des mois, je suis parti en solitaire entre les îles Canaries et les Açores. J’ai passé six jours en haute mer à gérer seul mon voilier de 12 mètres. C’était ma première expérience en solo et certainement pas la dernière.
Pourquoi naviguer en solitaire ?
La mer est l’un des plus beaux et l’un des derniers espaces de liberté. Naviguer prodigue des sensations fantastiques. Partir à la découverte du monde en bateau est un super moyen de se déplacer sur notre magnifique planète couverte à 80% d’eau. Je préfère toujours partager l’aventure en mer avec des coéquipiers ou avec ma petite famille mais je dois dire que naviguer seul face aux éléments, est une expérience inoubliable. Ceci étant dit, l’océan nous tolère sur son dos mais il peut aussi être dangereux. C’est pourquoi il faut savoir dans quoi on se lance avant de prendre le large.
Les plus grands risques
La navigation en solitaire ne s’improvise pas. Un moment d’inattention, une blessure, une chute à l’eau, une manœuvre ratée ou de la casse matérielle à bord peuvent avoir des conséquences dramatiques. Ce qui ne serait qu’un petit problème lorsque accompagné par un équipage peut devenir une avarie sérieuse en solitaire.
L’indispensable formation
Tout d’abord il faut se former sérieusement.
De nombreuses écoles de voile enseignent les bases pour pouvoir ensuite naviguer seul ou en équipage réduit. Naviguer en solitaire demande une connaissance technique complète de son voilier. Je conseille vivement de se former en profondeur sur différents sujets.
De mon côté j’ai d’abord appris à faire toutes les différentes manœuvres à la voile, en équipe et ensuite seul. J’ai aussi pris des cours de mécanique pour apprendre à dépanner mon moteur, des cours de météo pour bien comprendre les différents phénomènes, j’ai passé mes licences radio pour pouvoir communiquer en mer ou appeler les secours, j’ai même fait un cours de survie et des cours de premiers soins.
On n’a jamais fini d’apprendre et en mer, plus qu’ailleurs, la connaissance est synonyme d’autonomie et de sécurité.
Je trouve que les cours du BRYC à Bruxelles sont super.
Je conseille également les formations de Sylvie et Alexis Guillaume de l’école SAIL AWAY (également à Bruxelles). Ils font leurs sorties en mer sur différents voiliers, ce qui permet de naviguer tant sur monocoque que sur catamaran. Le top, c’est de faire une semaine en stage embarqué.
Bien se préparer et acquérir de l’expérience
Je le dis souvent : la préparation est la clé du succès.
L’idéal est de se lancer d’abord dans des navigations courtes et dans des conditions très clémentes. Je conseille de démarrer sur une navigation de jour, sur une mer et dans du vent calmes et ensuite de monter en technicité. Une première navigation de nuit, ensuite sur deux jours, etc.
Le bateau
Bien sûr, le bateau doit être en ordre impeccable de marche et il est également bon de l’adapter pour naviguer en solo. Il doit être muni de tout le matériel de sécurité. Un radeau de survie facilement accessible, un sac avec des vivres, une couverture de survie, de l’eau, du matériel de pêche, des fusées de détresse, une corne de brume, une boussole, etc. Vous l’avez compris, avant de quitter le port, il faut bien vérifier le bateau et le matériel.
Point de vue coûts, il y en a pour toutes les bourses. J’ai rencontré un gars dans les Açores qui avait reçu un bateau presque abandonné. Après beaucoup de travail et beaucoup de motivation, il est finalement parti en solitaire et a traversé l’Atlantique.
Le bateau doit être adapté pour naviguer seul. Sur mon voilier, nous avons adapté le plan de pont pour pouvoir faire les manœuvres en restant à l’intérieur du cockpit. Physiquement, il faut être capable de hisser les voiles ou installer un winch électrique. Un bon pilote automatique est un incontournable. Pour ma part, j’en ai même un de rechange à bord en cas de soucis techniques.
Au de-là du matériel de sécurité, je prends également du matériel de bricolage pour pouvoir réparer en mer. Par exemple, dans le cas d’un accident et d’une voie d’eau qui pourrait couler le bateau, j’ai prévu une visseuse, des plaques, de la mousse expensiv et du mastic marin pour faire une réparation de fortune. J’ai aussi une scie à métaux si le mat casse et si je dois couper les haubans, le patara ou les étais (câbles qui tiennent le mat).
SOS
Avant de partir je préviens mes proches de mon heure de départ, de mon itinéraire précis et de mon jour d’arrivée (approximatif). Ils peuvent également me suivre en direct grace à ma balise satellite InReach Mini. Je peux aussi envoyer des messages avec cette balise. J’essaye d’envoyer des nouvelles tous les deux à trois jours en moyenne. Sylvie Guillaume, experte en météorologie s’occupe de m’envoyer des infos météo régulièrement et me préviens si cela devient dangereux. Nous avons aussi une amie médecin qui garde son téléphone allumé de jour comme de nuit. Si nous avons un problème sérieux, nous pouvons la joindre et elle peut nous guider. Nous disposons d’une pharmacie très complète à bord.
Chaque pays a son propre service de secours. Il est impératif de connaître le numéro d’urgence pour les joindre. En France, le CROSS est joignable sur le 196 et la SNSM est super efficace.
Tous les bateaux doivent également observer une veille constante sur le canal 16 (radio VHF). En cas de souci on peut appeler à l’aide en donnant ses coordonnées GPS. En mer, nous avons l’obligation de porter assistance à quelqu’un en danger. Sur une traversée de l’Atlantique, nous pourrions compter sur un autre voilier, sur un chalutier de pêche ou sur un cargo pour nous porter secours.
Le maître mot à bord doit être la sécurité. C’est pourquoi il faut toujours être attaché lorsqu’on navigue. Personnellement je porte toujours un gilet autogonflant fixé à une ligne de vie lorsque je me déplace sur le pont. La nuit, je ne sors jamais sans une lampe frontale submersible. J’ai également une balise AIS personnelle et un Garmin Inreach Mini qui renvoient ma position GPS et peut envoyer un SOS par satellite en cas de gros soucis.
Il faut néanmoins éviter à tout prix de tomber à l’eau. Une chute en solitaire dans de l’eau un peu froide et dans des conditions périlleuses laisse malheureusement peu de chances de s’en sortir. On estime le temps de survie de 2 à 7 heures dans de l’eau à 20°… et à moins d’un quart d’heure dans de l’eau entre 0 et 4° !
Un moment d’inattention est vite arrivé. Lorsqu’on se déplace à bord, une main sert toujours à se tenir et l’autre à travailler.
La météo
Avant de partir, il est impératif de faire un bon point météo. Les programmes ont vraiment bien évolué et les modèles sont de plus en plus précis. J’utilise SQUID qui me permet d’analyser précisément les conditions que je vais rencontrer en chemin. L’application gratuite Windy marche également super bien. On peut y trouver plein d’informations comme l’intensité du vent, la hauteur de la houle, l’ensoleillement, les perturbations, etc.
Il faut bien se renseigner sur la meilleure période et sur la météo. Le livre de Jimmy Cornell, World Cruising Route est plein de bon tuyaux.
Rester sur le qui-vive… 24h/24
L’une des plus grande difficultés à laquelle fait face le solitaire reste la gestion de la fatigue. En effet il faut observer une veille quasi constante. Je dors par tranche de quinze minutes lorsque je navigue seul. Tous les quarts d’heure je monte sur le pont pour vérifier que les conditions ne se sont pas trop renforcées, que les voiles sont bien réglées et qu’il n’y a pas un autre bateau (cargo ou autres) qui se rapprochent dangereusement. En général, les premiers jours à ce rythme sont difficiles mais on s’adapte assez vite. Le secret c’est de faire des micros siestes, même la journée. La grande navigatrice Florence Arthaud avait un bon conseil : « Si en pleine nuit je suis réveillée par un bruit anormal, des voiles qui claquent ou qu’il y a un souci sur le pont, je compte jusqu’à dix avant de sortir de ma cabine et de passer à l’action… Cela me permet d’être bien réveillée et d’éviter le sur-accident… »
Personnellement, la nuit, si je suis en solitaire, je réduis un peu les voiles et je navigue en dessous des capacités du voilier. Comme cela si le vent augmente, j’ai un petit peu de marge.
Derniers conseils
Je conseille de préparer quelques plats avant de partir. Cela permet de ne pas devoir trop se concentrer sur la cuisine les premiers jours, juste le temps de s’habituer.
Et bien sûr, on ne prend pas d’alcool à bord. Pour naviguer on a besoin de toute sa tête…
Faites preuve de bon sens, et soyez prudent. Un bon marin est un vieux marin… 😉
N’oubliez pas non plus votre assurance voyage. Elle ne pourra sans doute pas vous servir tant que vous êtes sur les mers internationales, mais si vous avez un problème médical, vous pourrez faire appel à votre assisteur dès que vous accosterez.
Smooth winds and following seas.
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© Photos : Tom de Dorlodot et John Stapels